Les bourgeois de Faulquemont et la Comtesse de Choiseul

04/02/2022 0 Par HP57PB38

Les bourgeois de Faulquemont contre la Comtesse de Choiseul – 1778-1783

Marc Zolver – Février 2022

Lors de l’acquisition du marquisat de Faulquemont par le comte et la comtesse de Choiseul en 1751, un certain nombre de droits leur ont été transmis : « droit de nomination et de patronnage aux cures… droit de bergerie et de mazcaizerie, bannalité, four et moulin, tabellionnage, droit de sceau … de dixmes, gabelle, pêche et chasse, de collombier, de cens, glandées, corvées et autres droits et redevances tant en argent qu’en espèce ». Ces droits sont perçus par les receveurs et officiers du marquisat auprès des habitants et bourgeois.

            Cependant, d’une part le marquisat semble avoir été très appauvri au XVIIIème (en 1754, le comptable fait état de 622 habitants à Faulquemont dont la moitié sont des artisans et des manœuvres dans la misère, Wal 293 habitants dont 50 sont pauvres, Chemery 193 dont plus des 2/3 mendiants…) et d’autre part, le droit de bourgeoisie ne semble pas avoir été mentionné explicitement dans l’acte de vente de 1751. Déjà contesté par 7 habitants du « fauxbourg » de Faulquemont – déboutés – contre le marquis de Bissy en 1746, une association de bourgeois de Faulquemont, menée par Jean Tarillon, conteste à nouveau, à partir de 1778, le coût excessif de ce droit de Bourgeoisie demandé par la comtesse, « une quarte de Bled de semence et trois poules et quelques deniers en argent » mais fondamentalement, récuse le droit lui-même par des actions, condamnées, et appels en justice qui dureront de 1778 à 1783.

            Pour mettre un terme aux requêtes des plaignants, menés par Jean Tarillon et Vincent Cosserat, la comtesse de Choiseul fait établir un pladoyer très complet de 177 double feuillets entre 1781 et 1782 faisant référence à des documents de comptes du XVIème et XVIIème siècle.

plaidoyer de la comtesse de Choiseul – premier et dernier feuillets, 1782, signé de son avocat Maître Messein, copie à Me Marchand avocat des bourgeois de Faulquemont (Archives Nationales  T154//1 et 2).

            C’est l’établissement de ce playdoyer final, en défense, de la comtesse qui fut donc à l’origine de la transmission jusqu’à nos jours des traductions et copies de ces anciens documents des années 1571, 1596, 1597, 1609, 1630, 1653 et 1723. Nous retrouvons ainsi aujourd’hui des traces des habitants de cette époque. Ces copies et traductions portent toutes en marge les dates des mois d’avril et mai 1781.

Compte de Faulquemont pour Madame de Salm – 1571

 Le 8 May 1781 Me Messein (AN T154//1 et 2)                        

Comptes de Faulquemont pour monseigneur – 1630

Le 8 May 1781 Me Messein (AN T154//1 et 2)

            Dans son plaidoyer de 1781, Mme de Choiseul attaque violemment et avec un certain mépris les requérants, « Tar[a]illon et consort », accusés de lui faire un « procès monstrueux ». « On dirait, à entendre la nouvelle doctrine que prêchent ces dix sept paysans, leurs paradoxes révoltants, leur figures outrées, les réclamations continuelles et les raisonnements capiteux, […] qu’ils ont entrepris de renouveller les erreurs de ces fanatiques d’Allemagne…» et «comment donc nos dix sept brouillons peuvent ils se livrer à toute la fougue de leur imagination […] », et encore  « ces brutaux osent encor crier à l’injustice et à la vexation et se représente comme étant dans le cas d’envier le sort des russes ! peut on rien de plus monstrueux ? ». La défense agressive de Mme de Choiseul se base essentiellement sur les faits que i) les requérants ne parlent qu’en leur nom (et pas au nom de la communauté), ii) le droit de Bourgeoisie n’a pas à être justifié par un titre constitutif premier, par aucun seigneur de Lorraine, car dû – et perçu par les maires – de tous laboureurs, manœuvres (les non-laboureurs), veufs/veuves – « de temps immémorial » sur des terres, qui sont elles-mêmes « de possession immémoriale », comme le prouvent les « anciens comptes des années 1571, 1596, 1609, 1618, 1620 […] » rendus par les receveurs et officiers des seigneurs depuis plus de deux siècles (documents transmis à travers l’histoire grâce à ce procès !), iii) les Bourgeois restent des vassaux, rachetant une certaine liberté et/ou s’affranchissant par le paiement d’un tel droit. « il n’est pas même vrai de dire […] que le droit de Bourgeoisie soit extraordinaire et insolite puisqu’il a lieu dans une infinité de seigneuries […] non seulement sous la dénomination de droit de Bourgeoisie, mais encore sous celle de fouage, de conduit et autres semblables […]qui sont tous essentiellement les mêmes comme étant tous des redevances et prestations personnelles réservées lors de l’affranchissement et pour prix de la liberté et autres avantages qui ont été accordés à ces nouveaux cytoïens». D’ailleurs Mme de Choiseul se targue de sa bienfaisance à Faulquemont par rapport à bien d’autres seigneuries de la province où les droits sont « infiniment plus multipliés et plus onéreux » et que si les droits étaient vraiment si excessifs à Faulquemont, alors le village se dépeuplerait, or la population y augmente.

            « Tarillon et consort », encore une fois déboutés,vont cette fois aller plus loin et réunir alors une centaine de bourgeois de Faulquemont, pour défendre ensemble leur position en Mai 1783 sur8 feuillets. On les imagine « recruter » dans le village le plus de bourgeois possible afin de peser de tout leur poids sur le procès. Ils re-demandent ensemble à Mme de Choiseul de produire le titre en vertu duquel elle réclame ce droit « Les Bourgeois luy ont demandé la représentation du titre en vertu duquel elle prétendait les assujettir à une redevance aussy onéreuse »  et font état d’une loi du duc Léopold lui-même permettant le rachat de servitude pour un prix maximum d’un « jural( ?) de bled [ordinaire] et d’avoine ou deux francs barrois ». Leur plaidoirie fait aussi référence à l’édit d’abolition du droit de suite et de main morte (portant sur les successions des serfs) par Louis XVI en 1779 et au destin malheureux des habitants de Saint Claude et de Franche Comté, écrivant pourtant : « Les Bourgeois de faulquemont ne peuvent pas être traités en lorraine plus durement que les habitans de St claude ou du mont jura en franche comté ». Ces bourgeois – finalement bien courageux – font encore appel à la pauvreté des lieux et à leur propre état de liberté : « la constitution du lieu de faulquemont a été totalement changée par les malheurs des guerres du dix septième siècle, ce Bourg a été totalement détruit, les titres de la Bourgeoisie perdus, la plus forte partie des bourgeois aiant été passés au fil de l’épée et leurs habitations incendiées par les suédois et successivement par les troupes de louis quatorze […] d’aillieurs la servitude a été abolie en lorraine par des lois publiques dès le commencement du siècle […]Les habitans de faulquemont ne sont pas serfs, […] il n’y a contre eux ni titres ni possession […] ils ne cultivent aucune terre dépendante de la seigneurie […] le droit ne peut être réel puisqu’il n’est assis sur rien […]  Si donc [la comtesse] veut les humilier dans leur personne par l’imposition d’une servitude flétrissante, ils ont de droit les loix à la main de luy objecter qu’il ne luy est pas permis sans contrevenir formellement à ces loix de leurs demander du chef de l’abolition de la servitude au dela d’un jural de Bled et d’avoine ou deux frans Barrois et qu’ils ont le choix de paier l’un ou l’autre ».

Réponse des bourgeois de Faulquemont, avec les noms (numérotés ultérieurement), contre la comtesse, 23 Mai 1783

signée Me Marchand  (AN T154//1 et 2)

Les bourgeois signataires en 1783 par ordre alphabétique (dans l’orthographe du manuscript et sauf erreur de transcription) : Nicolas Altmayer, Antoine Arnette, Claude Arnette, Jean Arnette, François Aug, Jean Aug, Nicolas Aug, François Bartel, François Batail, Nicolas Bintz (ou Bitche), Pierre Bouchard, Friderich Bourger, Jean Baptiste Bourger, Pierre Boussendroff, Sébastien Bouffter, Denis Bravlé, Jean Baptiste Bravelé, Jean Claude Bravelet, Claude Cabaillot, Louis Cabaillot, Pierre Chaty, Nicolas Cordier, Pierre Cordier, Joseph Cosserat, Vincent Cosserat, Pierre Coste, Pierre Creiten, Jean Crepeaux, Dominique Droitcourt, Philippe Duhoux, Sebastien Errard, Claude George, Nicolas Gerard, Jean Gerome, George Gouget, Bernard Grandjean, Jean Grandjean, Jean Baptiste Guillot, Philippe Harteland, Jean Heimtt(?), Jean Huppert, Nicolas Jacob,  Clément Jacquemin, Jacques Kavenniger, François Kirch, Nicolas Kirch, Nicolas Konne, Nicolas Krautte, Claude Leclerc, Jean Pierre Leclerc, Nicolas Leclerc, Louis Legrand le père, Louis Legrand le jeune, Jean Pierre Leviard, Jean Limbourg, Jean Lorrain, Clément Louis, Jean Loup, Jean Jacques Matton, Nicolas Metzeller, Jean Moré le père, Jean Moré fils, Louis Odelot, Nicolas Odelot, Dominique Odenal, Antoine Paulus, Etienne Piblinger, Jean François Picquet, Dominique Porte Enseigne l’ainé, Dominique Porte Enseigne le jeune, Jean Nicolas Précheur, Claude Rebain, Jean Pierre Rein, Nicolas Regnier, Thiebaud Regnier, Jean Ren[e]aul[t]d, Christophe Renier, Jacob Rey, Jean George Rey le père, Jean George Rey fils, Jean Richard, Jean George Richard, Nicolas Saulnier,  Mathias Schmit, Nicolas Schmitt, Pierre Schmitt, Jean Schneider, Nicolas Schneider, Jean Sort, Pierre Stoffel, Jean Tar[a]illon l’ainé, Jean Tar[a]illon le jeune, Jean Pierre Tar[a]illon, Nicolas Tarillon, Claude Thiriet, Simon Vaisse, Nicolas Vercheur, François Vergeur, François Vi[e]llinger, Dominique Vilmin, Sébastien Vilmin, Jean Virich, Nicolas Weber, Pierre Zimmer, Christophe Zimmerman Nicolas [Z]Solver.

            Après avoir rappelé les multiples actions et appels, avec les noms des protagonistes contre « notre chère et bien-aimée dame Marie-Françoise Lallemant de Betz…« , le jugement final de la court de Nancy donnera malheureusement tort définitivement aux bourgeois de Faulquemont le 12 Août 1783 mettant « l’appellation principale au néant avec amende et dépens » et publiera sur papier imprimé l’arrêté ci-dessous, reprenant l’ensemble des actions, le nom de leurs auteurs (avec de nombreuses fautes) et de leurs condamnations.

Arrêt de la cours de Nancy, le 23 Août 1783 (AN T154/1 et 2)

L’histoire ne dit cependant pas ce que les bourgeois ont finalement payé à la comtesse et ce qu’il est devenu de ce droit de bourgeoisie sur les dernières années. Un vent de révolution commençait en effet déjà à souffler…