1791 – Tumulte à Vahl-lès-Faulquemont
21/12/2023Présenté par Paul BASTIEN.
L’article que nous tenons à présenter est un sujet publié par Jean EICH dans les colonnes du journal « La voix Lorraine » du dimanche 11 septembre 1955. Nous le publions dans son intégralité.
Ce texte est l’illustration d’une page importante de l’histoire de la Révolution de 1789 en France.
L’auteur a trouvé ses sources dans Les papiers du tribunal de Faulquemont (Archives départementales de la Moselle, série L 792).
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Jusqu’à la Révolution, l’actuelle paroisse de Vahl-lès-Faulquemont était une annexe de Faulquemont. Le curé de cette dernière localité y faisait assurer le service religieux par l’un de ses deux vicaires.
En 1791, le curé de Faulquemont, Jean-Louis LAMBERT et ses deux vicaires, Nicolas-François GANNAL et Nicolas-Grégoire BURTIN, sommés de prêter le serment constitutionnel, ne le firent qu’avec de formelles restrictions. Conformément à la loi, tous trois furent déclarés déchus de leurs fonctions.
Le 5 juin 1791, les électeurs du district de Morhange élurent à la cure de Faulquemont l’ex-tiercelin de Lixheim Ferdinand POIRSON, jusque-là administrateur de la paroisse de Brouviller. Retenu pendant quelque temps encore à Brouviller, le curé ne put prendre possession de sa paroisse que le 7 août suivant. L’accueil qu’il y reçut ne fut nullement encourageant. Une partie importante de la population refusa d’assister aux offices célébrés par lui. Quant à ceux qui acceptaient son ministère, ils furent traités de « valets du diable » et d’ « organes de l’Antéchrist » par leurs compatriotes.
Pendant près de deux mois, le nouveau curé de Faulquemont ne se présenta pas à Vahl. Les deux vicaires GANNAL et BURTIN, évincés du chef-lieu purent donc y continuer l’exercice de leur ministère. Ce n’était qu’une solution provisoire. Pour briser l’opposition des deux prêtres réfractaires, qui ne cachaient pas leur hostilité à l’égard du constitutionnel et encourageaient les habitants dans leur résistance à l’ordre nouveau, POIRSON résolut de se charger lui-même de la desserte de l’annexe. Il choisit le dimanche 2 octobre 1791 pour inaugurer ses fonctions à Vahl.
UN DIMANCHE AGITÉ.
Depuis deux mois déjà les habitants de Vahl avaient envisagé cette éventualité. Ils étaient résolus de s’y opposer de toutes leurs forces. Averti de cet état d’esprit, POIRSON n’osa pas s’y rendre seul. Il invita deux artisans de Faulquemont, le cordier Nicolas SCHMITT et le tailleur d’habits Mathias MATHIS, à l’accompagner. En route un troisième habitant de Faulquemont, le serrurier Jean AUG, se joignit à eux.
Aussitôt arrivé à Vahl, POIRSON se rendit chez le régent d’école, Jean ENCKLÉ, pour lui demander de sonner le premier coup de la messe et de venir remplir ses fonctions de chantre et de sacristain à l‘église. ENCKLÉ s’y refusa, alléguant qu’il n’était plus en fonction, ayant donné sa démission la veille et remis les clés de l’église au maire.
POIRSON dut donc se rendre chez la maire pour y prendre les clefs de la sacristie. Le chef de la commune était absent. Sa femme pourtant donna les clefs à l’intrus qui se rendit aussitôt à l’église. Il la trouva entièrement déserte. Tandis que son compagnon AUG se chargeait de sonner le premier coup, le curé se rendit à la sacristie pour se préparer à célébrer la messe. Il dut constater qu’il n’y avait plus d’hosties. Mathias fut aussitôt dépêché chez le régent d’école pour en chercher. A peine venait-il de quitter l’église qu’il fut assailli par « une troupe de gens de tout âge et de tout sexe » (une cinquantaine de personnes, dira-t-il lors de l’enquête qui eut lieu quelques jours plus tard). On le maltraita, on le jeta par terre, on le traîna par les cheveux. Les cris poussés par les assaillants et leur victime alertèrent POIRSON. Il sortit précipitamment de l’église pour voir ce qui se passait. Il tenta de calmer la foule surexcitée. Mais mal lui en prit, car à l’instant même la foule se tourna contre lui et le couvrit d’injures, « Nous ne voulons pas d’hérétiques ni de serviteurs de Belzébuth », lui criait-on. MATHIS profita de cet intermède pour se dégager et prendre la fuite. Il se réfugia dans la maison HENNICK, où il resta jusqu’au lendemain matin, non sans que quelques-uns de ses adversaires n’aient tenté de le faire sortir pour lui faire un mauvais sort.
AUG et SCHMITT, restés jusque-là prudemment à l’église, tentèrent alors aussi d’en sortir. A leur tour ils furent malmenés par la foule de plus en plus furieuse. Hommes et femmes participaient à la bataille. Les femmes et les jeunes filles apportaient dans leurs tabliers des pierres pour les fournir aux hommes qui poursuivaient les deux fuyards qui, avec POIRSON, reprirent précipitamment le chemin de Faulquemont.
ÉPILOGUE JUDICIAIRE.
Cette révolte contre le curé « patriote », comme on appelait alors les prêtres jureurs, eut son épilogue judiciaire. Bien que personne n’eût porté plainte, François JEANPIERRE, accusateur public auprès du tribunal de district, demanda dès le 4 octobre qu’une information fût ouverte sur les troubles de Vahl. Le tribunal lui donna gain de cause et chargea Jacques-Louis BRIAND, commissaire en tour de poursuivre l’affaire.
Le mercredi 12 octobre et le jour suivant, trente-trois personnes furent interrogées. Le 23 octobre, trente-sept autres habitants de Vahl furent convoqués devant le commissaire instructeur. Beaucoup naturellement ne savaient rien ou comme. Il arrive souvent en pareil occurrence, prétendaient ne rien savoir. Néanmoins, grâce aux éléments fournis par les victimes (sauf POIRSON qui affirmait ne connaître aucun de ses agresseurs), le tribunal put ordonner, le 19 octobre, l’arrestation de deux habitants de Vahl : Georges VILMIN, ancien soldat et François TONNELIER, tisserand. En même temps il faisait assigner devant BRIAND « pour être interrogés sur les faits résultants de l’information » : Anne-Marie BACH, Claude ALBRECHT, Marguerite ALBERT, Jean KANNENGIESER et Nicolas SCHMITT.
VILMIN et TONNELIER furent appréhendés le 21 octobre par les soins de l’huissier Antoine PAULUS, accompagné de quatre gendarmes. Ils furent aussitôt internés dans la prison de Faulquemont, où, le 22 octobre, BRIAND les soumit à un interrogatoire sévère.
Le 26 octobre, l’accusateur public JEANPIERRE put prononcer son réquisitoire. Il requit contre Georges VILMIN, comme chef de l’attroupement, six mois de prison et 500 livres d’amende ; contre François TONNELIER, pour avoir concouru à l’attroupement et maltraité SCHMITT et MATHIS, quatre mois de prison et 300 livres d’amende ; contre Anne-Marie BACH, Marguerite ALBERT, Nicolas SCHMITT, Claude ALBRECHT et Jean-Georges KANNENGIESER, pour avoir concouru à l’attroupement et aux voies de faits, deux mois de prison et 200 livres d’amende.
Le tribunal, tout en reconnaissant la culpabilité des accusés, ne suivit pas l’accusateur public et se contenta de condamner les sieur VILMIN et TONNELIER à huit jours de prison et 30 livres d’amende. Tous reçurent l’injonction « de porter honneur et respect aux fonctionnaires publics établis par la loi et d’être plus circonspects à l’avenir ».
J. EICH.